Lorsque l’on parle d’antidépresseurs de première ligne, Citalopram est souvent cité aux côtés de son énantiomère plus sélectif, Escitalopram. Tous deux appartiennent aux inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) et sont largement prescrits pour la dépression majeure et les troubles anxieux. Mais savez‑vous que ces deux molécules peuvent rallonger l’intervalle QT du cœur, augmentant le risque de tachyarythmie grave ? Décortiquons le mécanisme, les données de dose‑réponse, les recommandations officielles et les bonnes pratiques à adopter en cabinet.
Comment le citalopram et l’escitalopram allongent le QT ?
Le point de départ est le blocage du canal potassique hERG (Human Ether‑à‑go‑Go‑Related Gene). Ce canal assure l’efflux du potassium pendant la repolarisation ventriculaire. En inhibant hERG, les deux ISRS ralentissent ce flux, prolongeant ainsi la phase de repolarisation et, par conséquent, l’intervalle QTc. Le résultat : une augmentation du risque de torsade de pointes, de tachycardie ventriculaire ou même de fibrillation ventriculaire chez les patients vulnérables.
Sur le plan pharmacologique, le citalopram est un mélange racémique d’énantiomères R‑ et S‑, alors que l’escitalopram ne contient que l’énantiomère S‑, plus active sur la recapture sérotoninergique. Cette différence explique pourquoi l’escitalopram montre une augmentation du QTc légèrement plus faible à doses équivalentes, mais le mécanisme de blocage hERG reste présent pour les deux molécules.
Données de dose‑réponse : ce que montrent les études
Les études menées après la mise en garde de 2011 ont quantifié l’allongement QTc en fonction de la dose quotidienne :
- Citalopram 20 mg : +8,5 ms (IC 95 % : 6,2‑10,8)
- Citalopram 40 mg : +12,6 ms (IC 95 % : 10,9‑14,3)
- Citalopram 60 mg : +18,5 ms (IC 95 % : 16,0‑21,0)
- Escitalopram 10 mg : +4,5 ms (IC 95 % : 2,5‑6,4)
- Escitalopram 20 mg : +6,6 ms (IC 95 % : 5,3‑7,9)
- Escitalopram 30 mg : +10,7 ms (IC 95 % : 8,7‑12,7)
Ces chiffres montrent clairement une relation dose‑dépendante : plus la dose augmente, plus le risque d’allongement devient notable. Le seuil clinique d’inquiétude est généralement fixé à un QTc absolu de 500 ms ou à une hausse de 60 ms par rapport à la ligne de base.
Réponses réglementaires dans le monde
Après la publication d’une série de cas d’arythmies en 2011, les autorités sanitaires ont révisé les limites de dose :
| Pays/Agence | Citalopram (max quotidien) | Escitalopram (max quotidien) |
|---|---|---|
| FDA (USA) | 40 mg (20 mg si > 65 ans) | 20 mg (10 mg si > 65 ans) |
| MHRA (Royaume‑Uni) | 20 mg (> 65 ans) - 40 mg (< 65 ans) | 10 mg (> 65 ans) - 20 mg (< 65 ans) |
| Health Canada | 40 mg (limite stricte à 20 mg pour patients > 70 ans) | 20 mg (limite à 10 mg pour mêmes critères) |
| Medsafe (Nouvelle‑Zélande) | 40 mg (réduction à 20 mg si antécédents cardiaques) | 20 mg (réduction à 10 mg dans les mêmes cas) |
Ces recommandations sont guidées par deux facteurs majeurs : la sensibilité accrue des patients âgés (dégradation du métabolisme hépatique) et la présence de comorbidités cardiaques ou d’électrolytes bas (hypokaliémie, hypomagnésémie).
Comparaison avec d’autres antidépresseurs
En pratique, le choix d’un ISRS tient compte du profil QTc. Les tricycliques (amitriptyline, maprotiline) allongent le QT de façon plus marquée que les ISRS. Parmi les ISRS, fluoxétine, sertraline et paroxétine affichent un impact négligeable sur le QTc. Les inhibiteurs de recapture sérotonine‑noradrénaline (venlafaxine) sont généralement sûrs, sauf en surdosage ou chez les patients présentant une instabilité cardiaque.
Cette hiérarchie explique pourquoi, dans les populations à risque (personnes âgées, antécédents d’arythmie, prise concomitante d’autres médicaments pro‑QT), les cliniciens privilégient souvent l’escitalopram ou même la sertraline, malgré un coût parfois plus élevé.
Bonnes pratiques de prescription
- Évaluer le facteur de risque cardiovasculaire avant de lancer un ISRS : antécédents de QT long, troubles électrolytiques, médicaments concomitants (macrolides, antiarythmiques, antifongiques).
- Choisir la dose initiale la plus basse possible : 10 mg de citalopram ou 5 mg d’escitalopram chez les patients > 65 ans.
- Effectuer un électrocardiogramme de base, surtout si le patient a déjà un QT > 450 ms ou présente des facteurs de risque.
- Reprendre le contrôle ECG après 1 à 2 semaines si la dose prévue dépasse les limites recommandées.
- Surveiller les électrolytes (potassium, magnésium) et ajuster les traitements diurétiques ou inhibiteurs de l’ACE si besoin.
- Informer le patient des symptômes d’arythmie (palpitations, syncopes, étourdissements) et le conseiller de signaler immédiatement toute anomalie.
En cas de QTc > 500 ms ou d’augmentation > 60 ms, il faut immédiatement réduire la dose ou passer à un antidépresseur à moindre risque QTc, comme la sertraline.
Quel impact réel sur la pratique clinique ?
Les études post‑2011 montrent que, même avec les restrictions, les événements graves restent rares : moins de 0,1 % des patients développent une torsade de pointes liée à ces ISRS. Cependant, le simple fait de connaître la dose‑QTc permet de réduire le nombre de prescriptions inutiles chez les patients à haut risque.
Dans les milieux de soins primaires, la plupart des prescripteurs optent maintenant pour l’escitalopram quand le patient a plus de 65 ans ou possède une comorbidité cardiaque, en raison du profil plus « léger ». Le citalopram reste utilisé lorsqu’une réponse économique est cruciale, à condition de rester sous 20 mg chez les seniors.
Vers une prise de décision personnalisée
En résumé, la décision entre citalopram et escitalopram repose sur trois piliers :
- Risque QTc : escitalopram < citalopram à dose équivalente.
- Âge et comorbidités : limiter la dose chez les patients > 65 ans ou avec maladies cardiaques.
- Coût et accessibilité : le citalopram est souvent moins cher, mais les économies ne doivent pas compromettre la sécurité.
En combinant un questionnaire de risque, un ECG pré‑traitement et un suivi régulier, on peut profiter des bienfaits antidépresseurs tout en minimisant l’exposition à un allongement du QT.
Quelle dose maximale de citalopram puis-je prescrire à un patient de 70 ans ?
Pour les patients de plus de 65 ans, la FDA recommande de ne pas dépasser 20 mg par jour. La MHRA et Health Canada imposent la même limite. Un ECG de suivi est conseillé après deux semaines.
L’escitalopram est‑il réellement plus sûr pour le cœur ?
Oui, les données montrent une augmentation du QTc d’environ 3‑4 ms de moins que le citalopram à dose équivalente. Cela reste significatif, mais le risque absolu d’arythmie grave reste très faible lorsqu’on respecte les limites de dose.
Dois‑je toujours faire un ECG avant de débuter un ISRS ?
Un ECG de base est recommandé chez tout patient avec antécédents de QT long, maladies cardiaques, ou prise d’autres médicaments pro‑QT. Chez les patients jeunes et en bonne santé, ce n’est pas obligatoire.
Quel autre antidépresseur choisir si le QTc dépasse 500 ms ?
La sertraline ou la fluoxétine sont souvent privilégiées car leurs effets sur le QTc sont négligeables. Elles sont bien tolérées et offrent un profil cardiologique rassurant.
Comment gérer un patient sous citalopram qui développe une hypokaliémie ?
Corriger d’abord l’électrolyte (supplémentation de potassium/magnésium), re‑faire un ECG, et envisager de diminuer la dose ou de passer à un ISRS à moindre risque QTc.
Mame oumar Ndoye
octobre 25, 2025 AT 21:13Il faut d’abord prendre le temps d’évaluer le profil cardiaque du patient avant de choisir un ISRS
Un ECG de base, même rapide, donne une vision claire du QTc initial
Si le QTc dépasse 450 ms, on privilégie une molécule avec moins d’effet pro‑QT comme la sertraline
Dans le cas où le citalopram est indispensable, on débute à 10 mg chez les +65 ans et on surveille les électrolytes
Cette approche préventive évite les urgences et rassure le patient
Philippe Mesritz
octobre 27, 2025 AT 01:00Les autorités ne sont pas infaillibles et leurs limites de dose sont souvent dictées par des pressions industrielles
En pratique, on voit très bien que des patients tolèrent 60 mg sans aucun problème ECG
Donc ne vous laissez pas enfermer dans des recommandations trop conservatrices
lou the warrior
octobre 28, 2025 AT 04:46Je me sens dépassé par toutes ces données.
Patrice Mwepu
octobre 29, 2025 AT 08:33Je suis d’accord avec l’idée de garder la dose la plus basse possible
Le citalopram reste une option viable quand le coût est un facteur décisif, à condition de vérifier le potassium et le magnésium avant d’ajuster la posologie
Un suivi ECG à deux semaines après toute augmentation de dose >20 mg est une bonne pratique pour détecter un allongement discret du QTc
Delphine Jarry
octobre 30, 2025 AT 12:20Super article, très complet et pédagogique
On sent que tu as mis du cœur à vulgariser ce sujet parfois technique
raphael ribolzi
octobre 31, 2025 AT 16:06Pour bien comprendre pourquoi le citalopram et l’escitalopram peuvent allonger le QT, il faut revenir sur le canal hERG qui régule l’efflux du potassium pendant la repolarisation ventriculaire
Les deux molécules bloquent partiellement ce canal, ce qui ralentit la sortie du potassium et prolonge la phase de repolarisation
Cela se traduit par une hausse du QTc mesurable à l’ECG, souvent de l’ordre de 5 à 20 ms selon la dose
Le risque devient cliniquement significatif lorsqu’on dépasse un incrément de 60 ms ou un QTc absolu de 500 ms
Les études post‑2011 ont montré une corrélation dose‑réponse très claire : à 20 mg de citalopram on observe environ +9 ms, à 40 mg +13 ms et à 60 mg +19 ms en moyenne
Pour l’escitalopram, les augmentations sont légèrement inférieures, avec +4,5 ms à 10 mg et +10,7 ms à 30 mg
Ces chiffres restent modestes mais ils s’ajoutent aux facteurs de risque comme l’âge avancé, les troubles électrolytiques ou la prise concomitante d’autres médicaments pro‑QT
Chez les patients de plus de 65 ans, la plupart des agences recommandent de ne pas dépasser 20 mg de citalopram ou 10 mg d’escitalopram, ce qui correspond à la zone où l’allongement du QT reste minimal
Un ECG de base permet d’identifier les patients déjà à risque, notamment ceux avec un QTc >450 ms ou des antécédents d’arythmie
Si l’ECG initial est normal, on peut démarrer à dose ultra‑faible et vérifier à nouveau après deux semaines d’escalade de dose
Il est aussi crucial de contrôler les électrolytes, surtout le potassium et le magnésium, car une hypokaliémie amplifie l’effet du blocage hERG
En cas d’hypokaliémie, la correction avant d’augmenter la dose du SSRI est indispensable pour prévenir une torsade de pointes
Enfin, si le QTc dépasse 500 ms ou augmente de plus de 60 ms, la meilleure stratégie est de réduire la dose ou de passer à un ISRS à profil QT négligeable comme la sertraline ou la fluoxétine
Cette démarche pragmatique permet de garder les bénéfices antidépresseurs tout en protégeant le cœur du patient
Marie Langelier
novembre 1, 2025 AT 19:53Encore un post trop technique, on s’y perd 😒
Christiane Mbazoa
novembre 2, 2025 AT 23:40cett article pa rait tres obselete le pttais syr le citaloprim est tout a fait safe
James Holden
novembre 4, 2025 AT 03:26Les agences sont sous l’emprise des laboratoires
Les limites de dose sont souvent abaissées juste pour faire bonne figure
On voit bien que le vrai danger reste occulté
Yann Prus
novembre 5, 2025 AT 07:13Il faut être responsable et ne pas jouer avec la santé des gens en prescrivant des doses qui peuvent toucher le cœur
Le respect du cadre thérapeutique, c’est aussi une question de morale
Beau Bartholomew-White
novembre 6, 2025 AT 11:00C’est vrai que le suivi ECG est clé mais n’oublions pas la compliance du patient qui parfois flanche quand on parle de mesures supplémentaires